Affaire Atangana Mebara : Le détournement de 1,5 milliard Fcfa était fictif

Publié le par Bobby

Les témoignages du directeur financier de la Snh et du liquidateur de la Camair devant le Tribunal de grande instance de Yaoundé ont démontré que l’argent destiné à régler les arriérés de loyer de la Cameroon Airlines auprès de la société Ansett avait bel et bien été encaissé par cette dernière alors que le ministère public soutient le contraire depuis trois ans.

 

Christophe Bobiokonocbobio@gmail.com

 

« Pourquoi sont-ils poursuivis au juste ? » Assis, dans la seconde rangée des places réservées au public dans la salle d’audience de la Cour d’appel du Centre à Yaoundé, qui abrite en général les procès des anciens ministres et directeurs généraux des sociétés publiques poursuivis pour détournement des fonds publics, un gendarme n’a pas pu s’empêcher de s’exclamer ainsi. Remi Christian Bekolo Ebanga, le liquidateur de la défunte Cameroon Airlines (Camair), venait de dire au collège des juges qu’il avait la conviction que la société Ansett, spécialisée dans la location des avions, avait reçu la somme de 1,5 milliards de Fcfa pour laquelle Jean-Marie Atangana Mebara, Hubert Marie Otele Essomba et Kevin Walls sont poursuivis depuis trois ans. « Ansett a produit sa créance et aucune facture n’est antérieure à l’année 2008 », a dit le liquidateur. Or, la somme mise à la charge des accusés avait été réglée en mai 2003. Un sentiment d’injustice a parcouru toute l’assistance…

Hier, jeudi, 20 octobre 2011, c’était l’entame des débats au fond de la seconde phase de l’affaire qui oppose l’Etat du Cameroun à Jean-Marie Atangana Mebara, l’ancien secrétaire général de la présidence de la République, et ses co-accusés, pour détournement des deniers publics. Et pour soutenir la première des deux accusations retenues contre les accusés dans cette phase, le ministère public avait fait venir le Directeur financier de la Société nationale des hydrocarbures (Snh), M. Mendim Meko’o, et le liquidateur de la Camair, M. Bekolo Ebanga. Ils devaient intervenir comme témoins pour soutenir, le premier, que la somme de 1,5 milliards Fcfa était sortie des comptes de la Snh au profit de la société Assets Portfolio Management (Apm) « sur instruction » de Jean-Marie Atangana Mebara, et le second, que cette somme n’a pas servi à régler la dette de la Camair auprès de Ansett. Toutes leurs réponses vont démontrer l’exact contraire.

Premier à passer dans le box des témoins et interrogé tour à tour par le représentant du ministère public, Claude Assira Engouté, l’un des avocats de M. Atangana Mebara puis par les deux accusés présents, le Directeur financier de la Snh a en effet déclaré pendant son audition qu’au moyen d’une lettre du ministre des Finances et du Budget (Minfib), à l’époque Michel Meva’a m’Eboutou, la Snh avait reçu instruction le 12 mai 2003 « de payer 1,5 milliard Fcfa à Apm au profit de Ansett, créancier de la Camair ». Que ce paiement exécuté le 13 mai était « une avance de trésorerie » et ne nécessitait pas l’aval du secrétaire général de la présidence de la République, Atangana Mebara. La somme en question, a-t-il précisé, avait été « virée directement dans le compte de la First Clearing Corporation ». Et les coordonnées bancaires de cette entité avaient été communiquées à la Snh par M. Atangana Mebara au cours d’une opération antérieure d’affrètement d’un avion pour le président de la République. Le témoin précisera qu’au niveau de la Snh, il n’y a pas eu de trace ni de M. Otele Essomba encore moins de Atangana Mebara dans cette transaction. Alors que l’accusation indiquait que l’aval de ce dernier était incontournable en sa qualité de Pca de la Snh.

« Ansett a été payé »

Le passage du liquidateur de la Camair devant le collège des juges va être plus bref. « J’ai relevé dans les comptes de la Camair, dit-il, un montant de 1,392 milliard Fcfa (équivalent de 2,5 millions de dollars Us) porté au débit du compte Ansett et au crédit du compte Etat-client », explique-t-il, en mentionnant que cette écriture comptable était suivie de la précision suivante : « Règlement direct Apm ». Ce qui signifie en français facile, et selon ses propres termes, que « l’Etat a réglé Ansett ». Si M. Bekolo Ebanga indique que le dossier comptable en sa possession n’était pas suffisant pour « passer une telle écriture », la correspondance du Minfib adressée à la Snh y faisant défaut, il dira au tribunal qu’il n’y a aucun doute que l’argent soit arrivé dans les comptes du loueur d’avions. Un « oui, Ansett a été payé » qui vient soulager les accusés. Jusque-là, les réserves formulées par M. Bekolo sur cette écriture comptable avaient servi de prétexte à la persistance de l’accusation.

« Une première lumière, depuis trois ans que nous sommes poursuivis », s’est empressé de commenter Hubert Patrick Otele Essomba, Directeur général adjoint de la filiale camerounaise de Apm, qui est accusé comme Jean-Marie Atangana Mebara de complicité de détournement de cette somme d’argent le dont principal accusé, l’Anglais Jospeh Kevin Walls, Dg d’Apm, a refusé de comparaître. Dans « sa fuite », M. Walls avait quand même pris la peine d’obtenir d’Ansett une correspondance du 12 juillet 2009 par laquelle le loueur d’avions reconnaît explicitement avoir reçu dans ses comptes, le 19 mai 2003, 2,5 millions de dollars Us, « le paiement effectué par Apm ». Cette lettre, dûment certifiée comme conforme et versée dans le dossier de procédure à l’époque par Hubert Patrick, avait été ignorée par le juge d’instruction, qui décidé d’envoyer les accusés en jugement. Le Dga de Apm s’est fait le devoir de communiquer séance tenante cette pièce à conviction au liquidateur de la Camair.

Les déclarations des témoins de l’accusation devant le tribunal vont renforcer, dans l’esprit des accusés, le sentiment d’être l’objet d’un acharnement judiciaire. De fait : dans le cadre de l’instruction judiciaire, le magistrat instructeur, Pascal Magnaguemabe, avait commandé une expertise judiciaire pour établir si les écritures comptables enregistrées dans les livres de la Camair permettait de dire que le produit du virement effectué par la Snh était arrivé à Ansett. Et la conclusion de Jean Pierre Okalla Ahanda, expert comptable, et Paul Emmanuel Tonyè, expert financier, se passait de commentaire : « Les documents ayant servi de base au service comptable pour enregistrer en comptabilité l’opération relative au paiement au profit d’Apm de la somme de 1.500.000.000 Fcfa par la Snh, sont à notre avis suffisants pour permettre un tel enregistrement. Il ressort en effet de nos travaux et analyses que les conditions fixées par le traité Ohada en ce qui concerne l’enregistrement en comptabilité ont dans l’ensemble été respectées ».

Yves-Michel Fotso

Que va-t-il se passer maintenant concernant cette accusation avec les déclarations des deux premiers témoins clés qui lèvent toute suspicion sur les accusés ? Peut-on considérer que ce volet de l’affaire est classé ? Les représentants du ministère public ont indiqué qu’ils allaient faire venir d’autres témoins pour poursuivre l’accusation. En principe donc, le 4 novembre prochain, jour de la prochaine audience, l’ancien ministre des Finances et du Budget, Michel Meva’a M’Eboutou, devrait passer dans le box des témoins dans le but de dire aussi au tribunal tout ce qu’il sait de cette affaire. Mais, cette suite des témoignages n’est point susceptible d’apporter le moindre changement au cours des choses, puisque le témoignage de M. Bekolo Ebanga et les conclusions des experts démontent totalement l’allégation selon laquelle « aucune trace du paiement [effectué par la Snh] n’apparaissait dans la comptabilité de Cameroon Airlines ».

Restera au tribunal d’ouvrir plus tard les débats sur la seconde inculpation de la phase 2 de l’affaire Atangana Mebara. L’ancien ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence est poursuivi cette fois-ci comme complice de Jérôme Mendouga, l’ancien ambassadeur du Cameroun. Ce dernier est accusé d’avoir retenu frauduleusement une somme évaluée à 121,5 millions Fcfa. Soit ce que le juge d’instruction considère comme le « reliquat d’un crédit de 720 millions Fcfa viré par l’Etat du Cameroun à son ambassade de Washington » dans le cadre de l’acquisition en location de l’avion présidentiel baptisé Albatross. M. Mendouga s’était défendu d’avoir affecté ce « reliquat » aux besoins de fonctionnement de l’ambassade du Cameroun à Washington, ce qui amène l’accusation à considérer qu’il s’est comporté comme « propriétaire » de cet argent. Et Jean-Marie Atangana Mebara doit s’expliquer pour n’avoir pas instruit l’ambassadeur Mendouga « d’arrêter les dépenses du crédit en question ».

Détenus depuis le 6 août 2008 à la prison centrale de Kondengui et poursuivis pour diverses affaires de détournement des deniers publics, M. Atangana Mebara et M. Otele Hubert (qui ont été rejoints en prison par M. Mendouga le 15 avril 2009) avaient été, dans un premier temps, renvoyés en jugement pour la tentative de détournement de la somme de 27 millions de dollars us destinés à l’achat d’un avion neuf pour les voyages du président de la République. Le verdict de ce premier volet dont les débats sont achevés a été renvoyé à plus tard, de nouvelles charges ayant été communiquées au tribunal pour jugement (phase2). Ces derniers restent sous le coup d’autres accusations concernant notamment aussi Yves-Michel Fotso et d’autres personnes « non encore identifiées ».

C.B.

 

 

 

 

 

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