Affaire Titus Edzoa : Plus de 200 pièces pour démonter le détournement des fonds publics

Publié le par christophe.bobiokono.over-blog.com

 L’accusé Michel Thierry Atangana Abéga a été entendu pour la cinquième fois consécutive comme témoin. Pour lui, le mécanisme de financement du Copisur était totalement légal… Il dit avoir été victime d’une machination.

 

Par Christophe BOBIOKONO - cbobio@gmail.com

 

Même si la grande salle d’audience de la Cour d’appel du Centre paraissait comble, mardi 12 juillet 2011, comme d’habitude, à l’occasion de la reprise des auditions dans l’affaire qui oppose l’Etat du Cameroun à Titus Edzoa, Michel Thierry Atangana Abéga, Isaac Njiemoun et Mapouna, pour détournement des deniers publics, le public ne semblait pas très enthousiasmé, au début de l’audience, par la suite des déclarations de l’accusé. De fait : lors des quatre derniers rendez-vous, Michel Thierry Atangana Abega, auditionné comme témoin au sujet du financement du Comité de pilotage et de suivi des projets routiers (Copisur), avait donné l’impression d’aller dans tous les sens. Après les deux premières audiences au cours desquelles l’affaire avait été précocement renvoyée du fait de l’impréparation de l’accusé-témoin, il avait longuement expliqué le contexte de la création du Copisur lors des deux dernières audiences. Ce qui avait semblé fatiguer le public...

 Mardi 12 juillet 2011, le témoin est passé dans la phase d’explication du mécanisme de financement du Copisur, structure créée par arrêté du président de la République signé le 8 juillet 1994, à la suite d’une convention dite de « cession, compensation et règlement définitif des créances ». Et là, du début à la fin de l’audience, il a capté l’attention autant du collège des trois juges que celle du public, lorsqu’il a méthodiquement déroulé sa démonstration. Par moments, on aurait entendu une mouche voler… 150, voire 200 pièces (documents) versés au dossier, assorties de commentaires, pour démonter point par point l’accusation qui pèse sur lui. A l’image d’un rouleau compresseur. Un temps, assez calme, un autre, saisi par l’émotion, il a laissé entendre des trémolos dans sa voix quand il criait l’injustice dont il serait l’objet... C’était pathétique et suscitait de la pitié… à défaut de la révolte.

Pour asseoir l’accusation concernant la « coaction de détournement de la Taxe spéciale sur les produits pétroliers (Tspp) » pour une valeur de 1,36 milliards Fcfa, l’un des chefs d’accusation qui pèsent sur Titus Edzoa, Michel Thiéry Atangana Abéga et Isaac Njiemoun, les représentants du ministère public et les avocats de l’Etat s’étaient essentiellement appuyés sur les témoignages écrits ou oraux de Dieudonné Abassa Zang, vice-président du Copisur à l’époque des faits (lire encadré). Dans ses dires, le témoin de l’accusation, ancien ministre aujourd’hui en fuite, déplorait la « dérive » du comité vers des actions n’ayant aucun lien avec l’objet de sa création, c’est-à-dire la construction des tronçons routiers Yaoundé-Kribi et Ayos-Bertoua. Il accusait le couple Edzoa-Atangana Abéga de s’être laissé aller à un certain affairisme…

« Je suis seul aux arrêts… »

L’accusation arguait aussi que le choix d’utiliser la Tspp pour financer les travaux des tronçons routiers violait la loi, parce qu’une telle option n’était pas prévue dans le budget de l’Etat. L’ancien Secrétaire général de la présidence de la République était accusé d’avoir avalisé cette opération« à l’insu de l’ordonnateur des finances publiques, le ministre des Finances, [qui], informé par d’autres sources, avait mis un terme à l’opération ». Il était d’ailleurs reproché à Titus Edzoa d’avoir tenu une réunion à la présidence de la République, le 5 mai 1995, pour demander aux sociétés pétrolières de verser cette taxe (Tspp) dans un compte bancaire ouvert par ses soins au non du Copisur. Plusieurs témoins, dont Peter Akumchi, ancien Trésorier payeur général de Douala, étaient passés devant la barre pour soutenir le caractère "illégal" et "frauduleux" de l’opération. Ce mode de financement du Copisur ayant été conçu par les accusés, selon le ministère public.

Mardi dernier, Michel Thiéry Atangana a d’abord indiqué qu’en plus d’autres modes de financement des travaux du Copisur, « les contributions des sociétés pétrolières au titre des avances de paiement de la Tspp pour une valeur de 50 milliards Fcfa faisaient bien partie du mécanisme de financement » du Copisur. « Il n’a jamais été question de prélever 130 milliards Fcfa par le truchement de la Tspp » comme allégué par l’accusation, a-t-il précisé plus loin. Il a produit plusieurs documents pour étayer son propos, notamment les échanges de correspondances entre Joseph Owona, le prédécesseur de Titus Edzoa au secrétariat général de la présidence de la République, et le groupe français Jean-Lefèvre, partenaire de l’Etat au sein du Copisur. D’autres correspondances ont été produites, qui mettent en exergue les instructions du ministre des Finances pour que « des déclarations de recettes » soient délivrées aux sociétés pétrolières partenaires du Copisur.

D’ailleurs, l’accusé a expliqué au sujet des avances de paiement de la Tspp par les sociétés pétrolières, que c’était une solution de financement proposée par les entreprises privées et acceptée par le Copisur, qui comptait en son sein un représentant de la Présidence de la République, Dieudonné Ambassa Zang (inspecteur des régies financières), un représentant du ministre des Finances, Isaac Njiemoun, et un représentant du ministre des Travaux publics, M. Pokossy. Il a ajouté que les sociétés pétrolières n’auraient versé aucun franc dans le compte du Copisur si ce mécanisme n’avait pas explicitement reçu l’aval du ministre des Finances, avec l’implication du Trésorier payeur général de Douala. Des échanges de correspondances faisant ressortir la position du Minefi, notamment entre le Groupement professionnel des pétroliers (qui négociait au nom des compagnies pétrolières) et le Trésorier payeur général de Douala, ont été produites. Dans l’une d’elle, M. Akumchi donne explicitement son aval pour le modèle du document (attestation de recette) devant attester des versements reçus des compagnies par le Copisur, en lieu et place des quittances du Trésor public…

Quid des documents saisis ?

« Je viens du secteur privé. Les représentants de l’Etat nommés par leurs chefs hiérarchiques au sein du Copisur n’ont jamais donné d’avis contraire par rapport à cette modalité pratique. Mais, en dehors du Secrétaire général de la présidence qui ne participait pas au fonctionnement du comité, je suis le seul à avoir été entendu, mis aux arrêts et inculpé. Toute la "fraude" a été cristallisée que sur ma modeste personne », a-t-il expliqué avec dépit. « M. Njimoun Isaac, ici présent, a-t-il poursuivi en indiquant de la main, n’a été mis en examen qu’en 2008… M. Akumchi n’a jamais été inquiété ». Et d’ajouter à l’adresse du tribunal pour montrer l’injustice : « Madame la présidente, si le mécanisme étaient frauduleux, tous les acteurs auraient dû s’en expliquer ».

Pour l’accusé, la réunion présidée le 5 mai 1995 à la présidence de la République par Titus Edzoa, qui a été présentée par l’accusation comme celle au cours de laquelle le mécanisme frauduleux de détournement de la Tspp a été mis en place, était « une réunion normale », pour rendre compte à la tutelle de ce qui avait été arrêté avec les sociétés pétrolières : « il n’était pas question de discuter. On rendait compte de ce qui avait été décidé par les partenaires privés. C’était une démarche parfaitement conforme au contenu de l’Arrêté présidentiel qui crée le comité, puisqu’il était sous la tutelle de la Présidence de la République ». Il a indiqué que les conventions, signées entre le Copisur et chacune de ces entreprises pour fixer le cadre de leurs interventions, ont été saisies lors de la perquisition menée le 16 mai 1997 à son bureau et à son domicile. L’importante documentation et le matériel saisis, dont des véhicules, auraient pu montrer l’ampleur du travail fait par le Copisur. Le témoin a déploré que le produit de la saisie ait disparu au parquet…

L’accusé-témoin dira en plus, en produisant toujours des documents pour appuyer ses déclarations, que les lignes de financement négociées par le Copisur à travers les axes choisis avaient permis de mobiliser, notamment auprès des banques et autres entreprises françaises, plus de 332 milliards Fcfa. Lesdits financements ne sont jamais arrivés, parce que le Fonds d’investissements prévu dans lemécanisme de financement des projets routiers n’avait pas été créé. Mais, a encore précisé Michel Thiéry Atangana Abéga, « aucune pièce n’a jamais été produite pour montrer que le ministre des Finances était opposé à ce mécanisme ».

Justin Ndioro savait…

Par ailleurs, a ajouté l’accusé en lisant l’article 17 de la loi de finances 96/97, « le gouvernement de la République [était] autorisé à conclure des emprunts d’un montant de 300 milliards Fcfa », remboursables en 15 ans. Traduction : ce financement était conforme à la loi… Selon l’accusé, le ministre des Finances ne pouvait donc être ignorant de ce qui se passait, comme prétendu par l’accusation, pour qu’il en soit seulement informé par une autre source. Et il a produit « 53 pièces », décompte fait par lui-même, entre autres des copies des supports d’échanges entre le Copisur et le Minefi ou entre plusieurs personnalité ayant occupé le portefeuille du ministère des Finances et le groupe Jean Lefèvre : une convention signé entre ce groupe français et le Cameroun représenté par Sadou Hayatou en 1989. De nombreuses correspondances signées par Justin Ndioro, Edouard Akame Mfoumou et Antoine Ntsimi, dont une convention assortie d’une clause de confidentialité.

Et l’accusé explique, un brin patriote, pourquoi il n’a jamais fait part du fond du dossier aujourd’hui jeté dans la rue malgré la torture subie depuis 14 ans : « Nous n’avons pas voulu de ce procès pour respecter la clause de confidentialité. D’autres créanciers peuvent demander à l’Etat de régler leurs créances en suivant le même modèle qu’avec le groupe Jean Lefèvre. Ce qui serait lourd pour le budget de l’Etat ». Les conventions en question stipulaient qu’en cas de litige entre le groupe Jean Lefèvre et l’Etat du Cameroun, seuls les tribunaux de Genève étaient compétents. L’Etat ne pouvait pas mettre son partenaire en prison. L’accusé devait aborder les aspects de sa défense liés à la gestion et au fonctionnement proprement dit du Copisur, quand la présidente du collège des juges l’a interrompu pour suspendre l’audience. L’affaire reprendra le 26 juillet par la poursuite du témoignage de M. Atangana Abéga.

Le témoin, qui a été accusé d’avoir fait virer de l’argent du Copisur dans des comptes soit des compagnies privées ouverts à l’étranger, soit dans ses propres comptes, devra s’en expliquer. Il a déjà annoncé une autre avalanche de documents… A titre de rappel : en dehors du chef d’accusation concernant le détournement présumé de la Tspp à travers le Copisur pour lequel Titus Edzoa a été le premier à s’exprimer comme témoin, les accusés devront encore se justifier sur trois autres dossiers de détournement présumé de fonds publics : la gestion de l’Oua, l’extension de la Sonara et les voitures de la présidence et de l’Oua. Les deux autres accusés, Isaac Njiemoun et Mapouna, n’ont pas encore pris la parole dans cette phase du procès.

C.B.

 

 

 

Publié dans Procès Edzoa-Atangana

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article