Diffusion des sms par voie de presse : information ou lynchage médiatique ?

Publié le par Bobby

Par Christophe BOBIOKONO - cbobio@gmail.com 

La République tremble depuis la semaine dernière. D’abord à doses homéopathiques, ensuite en gros, certains médias ont décidé de rendre publics des messages échangés entre une personnalité incarcérée à la prison centrale de Kondengui et de distingués correspondants qui se recrutent notamment parmi des membres du gouvernement - sortis ou en fonction - des chefs d’entreprises, des cadres ou agents de la police. Comme à l’époque du « journalisme des listes », lorsque qu’au mépris des règles professionnelles, quelques illuminés dressaient des listes dites d’homosexuels, de fonctionnaires milliardaires et autres, pour les publier dans les colonnes de certains journaux, de nombreux lecteurs s’arrachent ces publications. Le voyeurisme est à son comble, puisque tout le monde veut savoir « qui » est en contact avec « qui » d’autre, pourtant « banni » de la société parce que inculpé dans le cadre d’une procédure judiciaire en cours. Et quel est le contenu de leurs échanges… L’Anecdote, La Nouvelle, médias qui ont eu l’audace de proposer (en premier ?) certains de ces messages (sms) à leurs lecteurs se frottent les mains. Les ventes connaissent un pic extraordinaire…

Cette curiosité toute camerounaise s’accompagne d’une psychose. Après avoir « dégusté » le contenu de ces « kongossa » des temps modernes, chaque utilisateur de téléphone s’interroge très souvent de façon sourde sur l’étendue de la sphère de nuisance de ces personnes ou institutions, encore couvertes d’anonymat, qui ont décidé d’épier les moindres correspondances téléphoniques de certaines personnes et de les rendre publiques. Si tout le monde peut faire l’objet d’un tel traitement, biens des secrets seraient dehors. Il n’y aurait plus de vie privée. Toute la République serait nue. L’insécurité se généralise. Personne ne souhaite être dans le tableau de chasse de ceux qui interceptent ainsi ces messages. Et tout le monde souhaite savoir de qui ces épieurs tiennent leur pouvoir et à quoi servent ces méthodes. Puisque la presse ne le leur dit malheureusement pas…

Malheureusement, faute d’être suffisamment renseigné et au bout d’une réflexion qui a pour but d’identifier celui qui met la société dans une insécurité sans nom, certains lecteurs n’hésitent pas à pointer leur doigt accusateur sur la presse. Pour eux, le danger ne vient pas forcément de ceux qui écoutent aux portes ou lisent des lettres dans les enveloppes. Le danger, c’est les journalistes ! La méfiance à l’égard des journalistes s’accroît. Par leur capacité à mettre l’information à la disposition du plus grand nombre, ils sont au centre d’une question que tout le monde finit par se poser à haute ou à basse voix : « ont-ils le droit de diffuser les messages d’autrui ? »

Quatrième pouvoir

Voilà une question qui (re)place, au centre des préoccupations des citoyens, le rôle de la presse dans la société : que peut-elle faire ? Que doit-elle faire ? Qu’est-ce qui lui est interdit ? Comment doit-elle se comporter ? Ce questionnement est d’autant central, particulièrement dans le contexte camerounais, que de par sa production, la presse n’a de cesse de dérouter ses lecteurs. De les amuser, mais malheureusement, de les inquiéter plutôt que de les rassurer. Son rôle apparaît d’autant flou que du fait de ses divergences dans le traitement de l’information, ou mieux dans l’approche du métier, elle montre plusieurs visages. Des visages trop contrastés qui amènent naturellement à se demander si ses principaux acteurs - les journalistes - pratiquent le même métier. S’ils sont membres d’une corporation ayant des codes et des règles partagés.

Dans le principe, en effet, la presse est le principal instrument de « reliance » sociale. Elle sert de ciment à la société, en permettant à tous ses membres d’être renseignés sur ce qui se passe dans tous les coins de leur territoire commun. Dans les sociétés modernes, la presse apparaît comme un pilier essentiel de la démocratie. Elle est le délégataire informel d’un pouvoir populaire, que certains ont nommé le « quatrième pouvoir » : le pouvoir de la presse. C’est le baromètre de la liberté d’expression, l’une des libertés fondamentales de l’être humain. La presse exerce le droit du public à l’information. C’est donc un instrument dont la société ne peut pas se passer. C’est dire son importance.

Si la presse joue un rôle central dans la société, elle n’a pas la liberté de faire tout ce qu’elle veut. Son travail est en principe bien codifié. En effet, à côté du droit du public à l’information qu’elle exerce dans la logique de la Charte de Munich (1978), la presse a l’obligation de respecter « le droit des personnes à la vie privée et à la dignité humaine » (selon le même instrument juridique repris dans l’article 3 du Code de déontologie de la presse). C’est donc tout logiquement que son intrusion dans la vie privée des personnes, par la mise en circulation de leurs conversations privées, suscite des interrogations, voire des inquiétudes, même s’il permet à certains d’assouvir certains phantasmes.

Intérêts obscurs

En fait, si la presse se trouve au centre des interrogations de ses lecteurs avec l’affaire des sms de la prison centrale de Kondengui, c’est sans doute parce que ses contenus suscitent plus de questions (et inquiétudes) qu’ils n’offrent des certitudes. La presse n’a pas encore dit qui a enregistré les messages de M. Fotso Yves-Michel, puisqu’il s’agit de lui, pour quelle raison et sur l’initiative de qui ? Le public n’est pas plus avancé sur le pourquoi de cette diffusion publique des messages enregistrés et de l’identité de certains (seulement) des interlocuteurs du prisonnier de luxe, puisqu’en fonction des intérêts encore obscurs, le flou est entretenu autour de certaines personnalités.

Il se trouve pourtant que (article 1er du code de déontologie) le journaliste a le devoir de « livrer au public une information vraie, honnête, bref aussi complète que possible » ; qu’il ne peut « publier que des informations dont l’origine est connue et vérifiable, ou les accompagner si nécessaire de réserves qui s’imposent ». On en est manifestement loin. En revisitant le statut de M. Fotso, le personnage central des sms diffusés, on se rend compte qu’il s’agit d’un citoyen placé en détention préventive dans le cadre d’une enquête judiciaire en cours. Donc, jouissant pleinement de la présomption d’innocence et de certains de ses droits, dont celui du secret de ses communications. En principe, un tel secret ne peut être violé conformément à la loi, qu’à l’initiative du juge d’instruction.

En son article 245 alinéa 4, le code de procédure pénale en vigueur au Cameroun énonce ceci : « Le juge d’instruction peut, lorsque les nécessités de l’information (enquête judiciaire, ndlr) l’exigent, prescrire l’interception, l’enregistrement et la transcription de correspondances émises par voies de télécommunications. Ces opérations sont effectuées sous son autorité et son contrôle… Le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire commis par lui transcrit la correspondance utile à la manifestation de la vérité. Il en dresse procès-verbal… Les enregistrements sont placés sous scellés fermés… Les enregistrements sont détruits… à l’expiration du délai de prescription de l’action publique… »

Ces dispositions légales suggèrent que l’enregistrement et la transcription des conversations téléphoniques de M. Fotso peuvent avoir été autorisés par le juge d’instruction « pour la manifestation de la vérité », mais jamais pour un usage public, ce qui préserve le respect du secret de ses communications privées. Mais le mystère reste pour l’instant total sur les modalités d’une telle démarche. Et, au bout du compte, on finit par se rendre compte que faute pour elle d’avoir accompagné ses révélations par les « réserves qui s’imposent », la presse a outrepassé ses devoirs. Elle a violé le droit à la vie privée. C’est pourtant dans la capacité à gérer les conflits très souvent réguliers entre le droit du public à l’information et l’obligation de respecter la dignité et la vie privée des personnes que se juge souvent le professionnalisme des journalistes, et partant celui de la presse. Les révélations sur le contenu des sms dans la presse n’auraient pu avoir de sens que si elles permettaient de dénoncer ceux qui ont violé la vie privée d’un citoyen… Ce n’est pas le souci d’une certaine presse : la République a de bonnes raisons de continuer à trembler…

 

 

 

 

Publié dans Médias et gouvernance

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